Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/311

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ne voyant autre remede à ce malheur que de l’espouser, j’advoue que mon affection ne fut assez forte pour m’en donner la volonté. En fin elle fut contrainte de signer le lendemain, et d’accorder tout ce que son pere et sa mere voulurent ; mais avec des regrets incroyables et de si grands tremblements, que les jambes ne la pouvoyent soustenir, ny sa main conduire la plume dont elle escrivit son nom. O Dieux ! dit-elle, à une de ses compagnes, quelle cruelle loy est celle-cy, qui ordonne que l’innocent signe mesme sa mort !

Mais quand elle fut conduite au temple, et que de fortune elle passa par la mesme rue où estoit mon logis, levant les yeux contre les fenestres, elle dit en soy-mesme : Pourquoy, ô trop heureux logis, ne me sont les dieux aussi favorables qu’à toy, afin que je fusse, comme tu es, à celuy à qui je soulois estre ? Et de fortune m’estant mis à la fenestre que j’avois entrouverte pour la voir passer, elle m’aperceut ; mais, ô dieux ! quelle fut ceste veue ? Elle tombe esvanouye entre les bras de ceux qui la conduisoyent ; et pour n’en faire de mesme je fus contraint de me mettre sur un lict, d’où je ne bougeay de la plus-part du jour.

En fin la voilà mariée avec tant de pleurs, que chacun en avoit pitié. Mais parce que je craignois que m’ayant veu, elle ne creut que j’eusse fait semblant