Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/536

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beauté dont tu as esté tant estimée par ceux qui en estoient idolatres, puis, qu’elle n’a peu esmouvoir celuy à qui tu as tant desiré de plaire, et qu’elle n’est plus que la vile despouille d’un berger, voire si vile qu’il ne l’a pas seulement pour agreable ? Ne suis-je point la plus malheureuse du monde, puis que celuy que j’ayme et qui n’a rien en soy de plus recommandable que mon amitié la mesprise, et la fuit pour celle d’une vile et ingrate bergere ? Helas ! desseins, dont les commencemens m’estoient si doux, et agreables, combien m’en est le progrez amer et fascheux ? Et lors s’estant teue pour quelque temps, elle reprit ainsi en s’escriant : Mais est-il bien vray, Celadon, qu’en fin tu ne m’aymes point ? Est-il possible que je n’aye peu te retirer de l’affection d’une bergere ? Peut-il estre qu’une beauté rustique ; une champestre, une sauvage, ait eu plus de pouvoir sur ton ame que la mienne ? Faloit-il que pour ma punition le Ciel te fist si aimable et si peu avisé ?

Elle eust continué d’avantage, n’eust esté que Silvie sçachant qu’Amasis la venoit voir, parce qu’on luy avoit dit qu’elle se trouvoit mal, fit du bruit à la porte et après l’avoir ouverte, l’advertit de la venue de sa mere. Elle incontinent se sechant les yeux le mieux qu’il luy fut possible, se coucha de son long sur le lict, et se mit un linge sur les yeux, feignant de dormir. Cela fut cause que Silvie ressortant,