Page:Urfé - L’Astrée, Seconde partie, 1630.djvu/738

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bien mieux rendre à quelque autre qui peut-estre ne vous en sçauroit pas tant de gré que moy. – Ha ! nymphe, dit Alexis en souspirant, je vous supplie au nom de Dieu, ne renouveliez point le souvenir de mon mal. Penseriez-vous que je le pense oublier, le ressentant d’ordinaire comme je fay ?

Elles parvindrent avec ces propos au boccage qui, estant plus relevé que la maison, descouvroit encores mieux toute la plaine, de sorte qu’il n’y avoit reply ny destour de Lignon, depuis Boen d’où il commençoit de sortir de la montaigne, jusques à Feurs où il entroit en Loire, qu’elles ne descouvrissent aisément. Cette representation fut si sensible à la feinte Alexis, qu’elle ne peust s’empescher de dire tout haut : Ha ! mes tristes yeux, comment souffrez-vous, sans mort la veue de ces rives heureuses où vous laissastes par mon depart tout vostre contentement! Leonide qui vouloit l’interrompre : Je croy, luy dit-elle, que de tous ceux qui ayment, vous estes seule qui vous ennuyez de voir les lieux où vous avez receu du plaisir, car si le souvenir des travaux pas­sez est aggreable à la pensée, à plus forte raison le sera celuy du bon-heur receu. La triste Alexis luy respondit : Ce qui rend douce la memoire du mal passé, c’est celle qui rend celle du bien pleine d’insupportables amertumes, parce que la cognoissanee