Page:Urfé - L’Astrée, Troisième partie, 1631.djvu/58

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celle qui m’auroit changé, la mauvaise election qu’elle auroit faite ; et puis quelle apparence y a-t’il tde laisser heritier de nostre bien celuy qui se resjouyt de nostre mort ? Je vous conseillerois donc, seigneur, si vous estes resolu à cette cruelle fin, qu’auparavant vous fissiez mourir, je ne dis pas Madonte (car je m’asseure que vous ne hayrez jamais ce que vous avez tant aymé, encor que l’outrage que vous en avez receu y en pourroit bien convier d’autres), mais Tersandre, ce ravisseur de vostre bien, et à qui desja vous n’avez Iaissé la vie que pour estre instrument de vostre mort. - Or en cecy, respondit incontinent le chevalier, j’advoue que tu as raison, et qu’il faut qu’il meure, en quelque lieu que je le trouve, et fust-ce devant les yeux de cette ingratte ; mais ne sçais-tu pas, Halladin, qu’il se tient caché ? Ah ! le malicieux qu’il est ! il a bien jugé que je prendrois cette resolution ; et pour y remedier, luy, Madonte et sa nourrisse, se sont tellement perdus, que personne ne sçait où ils se sont retirez. O Dieu ! si ma destinée est telle que je ne doive jamais avoir contentement de ce que j’ayme, permettez au moins que par la vengeance j’en recoive de ce que je hays.

Cependant qu’il parloit ainsi, et que Paris n’en perdoit une seule parole, le miserable berger Adraste venoit chantant à haut de teste des vers mal arrangez, et sans suitte. Ce mal-heureux amant,