Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/164

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imprimé va disparaître. Ne sentez-vous pas que déjà ses excès le condamnent ? Après nous la fin des livres ! »

Cette boutade faite pour amuser notre souper eut quelque succès parmi mes indulgents auditeurs ; les plus sceptiques pensaient qu’il pouvait bien y avoir quelque vérité dans cette prédiction instantanée, et John Pool obtint un hourra de gaieté et d’approbation lorsqu’il s’écria, au moment de nous séparer :

« Il faut que les livres disparaissent ou qu’ils nous engloutissent ; j’ai calculé qu’il paraît dans le monde entier quatre-vingts à cent mille ouvrages par an, qui tirés à mille en moyenne font plus de cent millions d’exemplaires, dont la plupart ne contiennent que les plus grandes extravagances et les plus folles chimères et ne propagent que préjugés et erreurs. Par notre état social, nous sommes obligés d’entendre tous les jours bien des sottises ; un peu plus, un peu moins, ce ne sera pas dans la suite un bien gros excédent de souffrance, mais quel bonheur de n’avoir plus à en lire et de pouvoir enfin fermer ses yeux sur le néant des imprimés ! »

Jamais l’Hamlet de notre grand Will n’aura mieux dit : Words ! Words ! Words ! Des mots !… des mots qui passent et qu’on ne lira plus.