Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/159

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aux notables, à tous les marchands ; sa maison, ses bureaux sont ouverts à tous ; de nombreuses tables sont couvertes d’argent et d’or : « Prévenez vos parents, vos amis, tout le monde, dit-il ; tout ce qu’on me fournira, je le payerai comptant ; ce qui me sera livré avant huit heures du matin, je le payerai dix fois sa valeur ; neuf fois ce qui viendra avant neuf heures, huit fois ce qui viendra avant dix heures, ainsi de suite en diminuant d’un dixième par heure ; partez, voici des avances. »

Le lendemain, dès l’aurore, au sommet des montagnes, se dessinait la silhouette animée et remuante d’une foule immense d’hommes, de femmes, de chevaux et de voitures chargés de pains, de légumes, de viandes, d’avoine et de fourrage ; c’était à qui arriverait le premier, à qui pourrait livrer ses marchandises avant huit ou neuf heures pour la plus forte prime.

Les soldats inquiets pillèrent les premiers arrivages ; les conducteurs d’accourir près d’Ouvrard et de lui dire : « J’étais arrivé avant huit heures, on a pillé mes marchandises. — Combien valaient-elles ? — Tant. — Voilà, partez, et revenez vite avec un nouveau chargement, au retour on ne vous pillera plus. » L’abondance s’établit, les prix diminuèrent et furent réduits à un taux raisonnable. Le quartier du munitionnaire général était devenu un marché, et pendant toute la campagne il y eut abondance de vivres. Ouvrard avait nourri l’armée sans réquisitions, sans dépôts ni magasins. Ouvrard m’a souvent dit : « il n’y a que deux manières de faire la guerre, en payant ou en pillant. On a meilleur marché de la faire en payant. »