Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/21

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je cédai à mes convictions : la neuvième saignée fut pratiquée larga vena, largo vulnere.

Je ne saurais dire quels furent, après cette saignée décisive, mon trouble et mon émotion. Il fallait cependant se montrer impassible : le malade interrogeait mes regards. Je comptais les secondes. Un bien-être plus marqué succéda à cette nouvelle émission de sang ; mais ce bien-être allait-il durer ? Un quart d’heure s’était écoulé ; la toux, les étouffements ne se reproduisaient pas. Une demi-heure se passe, puis une heure, puis deux heures, sans le retour d’aucun des symptômes inquiétants. Mon malade trouve un sommeil tranquille ! mon malade est sauvé !… Je me convainquis pendant toutes ces péripéties, pendant toutes ces transes, qu’on ne fait de bonne médecine qu’avec une grande fermeté d’esprit, de savoir, de caractère ; qu’avec un cœur chaud et que passionne à un haut degré un amour ardent de l’humanité.

Ce malade que je venais de sauver, c’était mon ami Ferdinand Langlé, le fils de Langlé le musicien, le cousin d’Eugène Sue, et le neveu du baron Sue, ancien médecin de l’impératrice Joséphine. Ferdinand Langlé déserta comme moi la médecine ; il fit représenter, sur nos théâtres de vaudevilles, plus d’une œuvre spirituelle, et tout en chantant il dirigea avec habileté une entreprise entée sur l’administration des pompes funèbres.

Mon observation ne s’arrête pas là, elle finit par le trait le plus étrange. Ferdinand Langlé n’oublia ni mes soins, ni mes veilles, et un jour qu’à table, après boire, quelques ennemis, ou peut-être quelques amis, ne me