Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/22

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ménageaient guère, il leur imposa silence avec autorité, en leur disant : « Taisez-vous, Véron m’a sauvé la vie. »

Je viens de raconter là mon premier haut fait comme médecin, et ce ne fut pas le dernier. Une nuit, à trois heures du matin (les jeunes médecins ont surtout des clients de nuit), je fus réveillé par mon portier suivi de deux bu trois femmes ; on venait me prier de porter secours à une vieille concierge d’une maison voisine ; elle avait depuis plus de six heures un saignement de nez que les nosographes ont illustré du nom d’épistaxis. Quelques médecins appelés avaient déjà conseillé l’emploi de la colophane et de la glace ; l’emploi de ces astringents avait été sans résultat ; mais, passé minuit, aucun de ces médecins dont la réputation était faite, et qui préféraient la clientèle de jour à la clientèle de nuit, n’avait voulu porter de nouveaux secours.

Le tamponnement de l’ouverture postérieure et antérieure des fosses nasales me parut le seul moyen de salut ; il n’y avait pas de temps à perdre ; le pouls était filiforme ; la malade avait eu déjà de nombreuses syncopes ; je n’avais jamais pratiqué cette opération délicate, plus pénible que douloureuse pour le patient. Toutes les portières du quartier, émues et inquiètes, étaient là ! Je me surpris plus d’habileté et d’adresse que je ne l’espérais ; l’opération ne dura que peu de temps ; on ne vit plus s’écouler une seule goutte de sang. Tous les témoins de cette scène me prodiguèrent leurs bénédictions. On s’extasiait de mon savoir, de mon habileté de chirurgien, et de mon dévouement à l’humanité. Peut-être plus encore par goût pour l’éloge que par crainte d’accidents,