Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/282

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sacré qui a donné des fruits en abondance, et qui désespère l’envie par sa persistance à se tenir toujours debout. Gros ne put, à la fin de sa vie, se consoler de cet abandon du public qui attend tôt ou tard les artistes ; il ne l’a que trop prouvé par sa fin tragique, horrible événement qui ne causa pas une très-grande impression : nouvelle preuve qu’il était déjà mort pour cet ingrat public.

» L’histoire de notre temps est remplie de tristes exemples de la fin malheureuse de grands artistes. Gros se jeta à l’eau ; Robert se coupa la gorge. Prudhon, qui n’a peut-être plu à une partie du public que grâce à une certaine afféterie, le côté faible de son talent, Prudhon, qui n’avait, jamais été accepté par les artistes de son temps, est mort misérable et peu regretté. Ce n’est que depuis sa mort que ses tableaux sont d’un grand prix. Greuze, dont le succès avait été jusqu’à l’engouement, est mort dans la misère et a été jeté dans la fosse commune.

» Au nombre des plus grands malheurs que les arts aient eu à subir dans notre temps, il faut citer la mort prématurée de Géricault. Il gaspilla sa jeunesse ; il était extrême et passionné en tout.

» Il ne montait que des chevaux entiers, et choisissait les plus fougueux ; il ne pouvait les enfourcher que par surprise, et à peine en selle, il était emporté par sa monture. Je dinais un jour avec Géricault et son père : il nous quitte brusquement, monte à cheval et part comme un éclair, sans avoir le temps de se retourner pour nous dire bonsoir. Le bon vieillard et moi, nous nous remettons à table. Au bout de dix minutes, un grand