Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/6

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pu prendre sur moi d’entretenir au fond de mon âme une haine, un désir de vengeance, ni même une rancune. Je n’ai jamais, si j’excepte les outrages qui blessent l’honneur, suivi le conseil de ce vers de Corneille traduit de Sénèque :


Qui pardonne aisément invite à l’offenser.


Quelques critiques m’ont reproché cet excès de bienveillance. Je prétends que la bienveillance et l’impartialité sont de notre temps. Pendant le dix-huitième siècle, blasé, oisif, la satire était presque un besoin pour la société. Quand on n’a rien à faire, on ne trouve rien de mieux que de médire du prochain. Depuis une trentaine d’années, notre société se préoccupe, au contraire, d’intérêts matériels, et s’est faite laborieuse. Elle montre plus de goût pour les faits que d’admiration pour les phrases ; elle recherche la vérité.

Il y a plus : un écrivain qui ose, devant le public, défendre ses intérêts personnels blessés, et lui faire confidence de ses ressentiments, n’excite ni sympathie ni commisération. Les plus hautes intelligences sont d’ordinaire mal inspirées lorsqu’elles n’obéissent qu’à des instincts égoïstes. La défense d’un intérêt public, la défense de l’huma-