Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/90

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ser une société tout entière à sa décadence ou aux saturnales d’une révolution.

Dans les lettres, les plus grands génies sont ceux qui nous font rire, mais de ce rire honnête, à pleine poitrine, qui n’offense personne, et qui gagne tout le monde. C’est à ce titre que Molière est le plus grand génie de l’humanité.

Bien des gens préfèrent la souffrance à l’ennui. La douleur, c’est le désir, c’est l’espérance de la santé.

La gaieté inspirée par quelques distractions et par quelques plaisirs après le travail, par des événements ou par des spectacles inattendus qui éveillent et satisfont doucement notre curiosité, la gaieté est un besoin moral pour chacun, pour le soldat en campagne ou jouissant du repos dans les camps, aussi bien que pour les nations même riches et prospères. Il est gai, celui qui sait faire un industrieux emploi du temps, réparer la fatigue par une douce émotion, et user tour à tour de toutes ses facultés, de la vigueur de son bras, des mouvements de son cœur et des ressources de son esprit.

L’ennui c’est, au contraire, l’affaissement par le repos de toutes nos facultés, c’est un demi-sommeil avec malaise de l’esprit et de l’âme, c’est à force de monotonie l’éloignement et le dégoût de toute habitude régulière. Ce n’est point la tristesse, ce n’est point le chagrin, c’est l’ennui.

L’ennui prolongé est abrutissant et mortel ; l’ennui causé pendant quelques heures, par de stupides convives, peut même surprendre et troubler la digestion. Seuls, les sots ne s’ennuient pas entre eux.

La gaieté, au contraire, qui naît d’un échange heu-