Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 1, 1931.djvu/102

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brillent également dans leurs yeux, sur leurs diadèmes. Elles m’écrasent de leurs dons, elles m’assiègent de leurs ailes… Phèdre, c’est ici le péril ! C’est la plus difficile chose du monde !… Ô moment le plus important, et déchirement capital !… Ces faveurs surabondantes et mystérieuses, loin de les accueillir telles quelles, uniquement déduites du grand désir, naïvement formées de l’extrême attente de mon âme, il faut que je les arrête, ô Phèdre, et qu’elles attendent mon signal. Et les ayant obtenues par une sorte d’interruption de ma vie (adorable suspens de l’ordinaire durée), je veux encore que je divise l’indivisible, et que je tempère et que j’interrompe la naissance même des Idées…

— Ô malheureux, lui dis-je, que veux-tu faire pendant un éclair ?

— Être libre. Il y a bien des choses, reprit-il, il y a… toutes choses dans cet instant ; et tout ce dont s’occupent les philosophes se passe entre le regard qui tombe sur un objet, et la connaissance qui en résulte… pour en finir toujours prématurément.

— Je ne te comprends pas. Tu t’efforces donc de retarder ces Idées ?

— Il le faut. Je les empêche de me satisfaire, je diffère le pur bonheur.