Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/104

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vions pas attendre de la seule sensibilité. Pourquoi ? Parce que la sensibilité est instantanée ; elle n’a ni durée utilisable ni possibilités de construction suivie ; nous sommes donc obligés de demander à nos facultés d’arrêt et de coordination d’intervenir, non pas pour dominer la sensibilité, mais pour lui faire rendre tout ce qu’elle contient.

Je termine en vous disant qu’en somme, la poésie et les arts ont la sensibilité pour origine et pour terme, mais, entre ces extrêmes, l’intellect et toutes les ressources de la pensée, même la plus abstraite, comme toutes les ressources des techniques peuvent et doivent s’employer.

Souvent, on reproche au poète les recherches et les réflexions, la méditation de ses moyens ; mais qui songerait à reprocher au musicien les années qu’il consacre à étudier le contrepoint et l’orchestration ? Pourquoi veut-on que la poésie exige moins de préparation, moins d’artifices, moins de calcul, que la musique ? Peut-on reprocher à un peintre ses études d’anatomie, de dessin et de perspective ? Personne n’y songe… Quant aux poètes, il semble qu’ils doivent composer comme l’on respire… Ce n’est là qu’une erreur, qui n’est pas très ancienne et qui dérive d’une confusion entre la facilité immédiate qui nous livre les produits de l’instant, — le pire et le meilleur dans leur état désordonné, — avec cette autre facilité qui ne s’acquiert que par un exercice de l’esprit longuement soutenu… Vous l’observerez chez La Fontaine aussi bien que chez Victor Hugo.