Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/116

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grande puissance, a engendré d’énormes événements d’échelle mondiale, et ces modifications du monde humain se sont imposées sans ordre, sans plan préconçu et, surtout, sans égard à la nature vivante, à sa lenteur d’adaptation et d’évolution, à ses limites originelles. On peut dire que tout ce que nous savons, c’est-à-dire tout ce que nous pouvons, a fini par s’opposer à ce que nous sommes.

Et nous voici devant une question : il s’agit de savoir si ce monde prodigieusement transformé, mais terriblement bouleversé par tant de puissance appliquée avec tant d’imprudence, peut enfin recevoir un statut rationnel, peut revenir rapidement, ou plutôt peut arriver rapidement, à un état d’équilibre supportable ? En d’autres termes, l’esprit peut-il nous tirer de l’état où il nous a mis ? (Notez que le mot rationnel, que je viens d’employer, est, au fond, l’équivalent du mot rapidement, car il est certain que l’équilibre renaîtra fatalement, comme l’équilibre s’est rétabli après la ruine de l’empire romain, mais il ne s’est rétabli qu’au bout de plusieurs siècles. Il s’est rétabli par les faits, tandis que la question que je pose est celle de savoir si l’esprit, agissant directement et immédiatement, pourra rétablir rationnellement, c’est-à-dire rapidement, un certain équilibre en quelques années.)

Donc, toute la question que je posais revient à celle-ci : si l’esprit humain pourra surmonter ce que l’esprit humain a fait ? si l’intellect humain peut sauver d’abord le monde, et ensuite soi-même ? C’est donc une sorte d’examen de la valeur actuelle