Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/133

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sa poche un petit Thucydide ou un charmant Virgile, et s’y absorber, foulant aux pieds journaux et romans plus ou moins policiers.

Mais passons au français. Il me suffira, sur ce point, de vous apprendre une chose immense : la France est le seul pays du monde où l’on ne puisse absolument pas apprendre à parler le français. Allez à Tokio, à Hambourg, à Melbourne, il n’est pas impossible que l’on vous y enseigne à prononcer correctement votre langue. Mais faites, au contraire, le tour de France, c’est-à-dire le tour des accents, et vous connaîtrez Babel. Rien de moins étonnant : on ne prononce spontanément le véritable français que dans les régions où le français s’est formé. Mais ce qui, au contraire, peut étonner l’observateur, — mais qui semble ne pas étonner les éducateurs, — c’est que ces diverses prononciations françaises : accent marseillais, picard, lyonnais, limousin, corse ou germanique, ne soient, dans une nation dont on connaît les goûts très vifs pour l’unification, réformés, corrigés de manière que tous les Français puissent reconnaître leur langue, en tous les points du territoire.

Ici se placent les méfaits de l’orthographe. Parcourons donc les provinces de notre pays. Nous trouverons dans les divers parlers locaux que les voyelles du français sont généralement altérées selon les provinces. Mais, au contraire, nous observerons que la figure des mots, cette figure articulée qui est en quelque sorte construite ou dessinée par les consonnes, est rigoureusement, beaucoup trop rigoureusement, formée par toutes ces bouches selon la criminelle orthographe. On constate, par exemple, que