Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/139

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Enfin, la question si difficile et si controversée des rapports entre l’individu et l’État se pose : l’État, c’est-à-dire l’organisation de plus en plus précise, étroite, exacte, qui prend à l’individu toute la portion qu’il veut de sa liberté, de son travail, de son temps, de ses forces et, en somme, de sa vie, pour lui donner… Mais quoi lui donner ? Pour lui donner de quoi jouir du reste, développer ce reste ?.. Ce sont des parts bien difficiles à déterminer. Il semble que l’État actuellement l’emporte et que sa puissance tende à absorber presque entièrement l’individu.

Mais l’individu c’est aussi la liberté de l’esprit. Or, nous avons vu que cette liberté, (dans son sens le plus élevé), devient illusoire par le seul effet de la vie moderne. Nous sommes suggestionnés, harcelés, abêtis, en proie à toutes les contradictions, à toutes les dissonances, qui déchirent le milieu de la civilisation actuelle. L’individu est déjà compromis, avant même que l’État l’ait entièrement assimilé.

Je vous ai dit que je ne conclurai pas, mais je terminerai sur une manière de conseil.

Parmi tous les traits de l’époque, il en est un dont je ne dirai pas de mal. Je ne suis pas ennemi du sport… J’entends du sport qui ne dérive pas de la seule imitation et de la mode, ni de celui qui fait trop grand bruit dans les journaux. Mais j’aime l’idée sportive. Et je la transporte volontiers dans le domaine de l’esprit. Cette idée conduit à porter au point le plus élevé quelqu’une de nos qualités natives, en observant cependant l’équilibre de toutes, car un sport qui déforme son sujet est un mauvais sport. Enfin, tout sport sérieusement pratiqué exige des épreuves, des privations parfois sévères, une hygiène, une tension et une constance mesurables par les résultats, — en somme, une véritable morale