Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/24

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il retrouvait les concerts… J’ai oublié de vous dire qu’il allait tous les dimanches aux concerts Lamoureux, où on le voyait s’absorber, non pas à écouter la musique pour elle-même, tant qu’à essayer de lui dérober ses secrets. On le voyait, le crayon aux doigts, qui notait ce qu’il trouvait de profitable à la poésie dans la musique, essayant d’en extraire quelques types de rapports qui pussent être transportés dans le domaine du langage. Il rêvait tout l’été à ce qu’il avait ainsi noté pendant l’hiver, et il attendait toujours avec impatience l’époque où il pourrait revenir à Paris et reprendre sa place au concert, c’est-à-dire recourir à sa source. Considérant donc les plaines d’or qui s’étalaient devant nous, cet homme, hanté par la musique, me dit un mot suprême. Désignant de la main la splendeur qui s’étalait devant nous, il me dit : « C’est le premier coup de cymbale de l’automne sur la terre. » Le soir, il m’accompagnait à la gare. Nous avons longtemps causé sous un ciel admirable… Je ne l’ai plus revu. Trois semaines après, je recevais le télégramme de sa fille qui m’annonçait sa mort. Il avait été foudroyé, littéralement étouffé par un mal sans remède, dans les bras mêmes du médecin qui venait lui faire visite. Ce fut pour moi un coup terrible.

Disons maintenant quelques mots d’un autre écrivain que j’ai aimé et admiré, lui aussi, quoique fort différent de Mallarmé.

Vous savez quel destin singulier fut le destin littéraire de Huysmans. Il avait commencé par être un disciple très strict de l’école naturaliste, un fervent de Zola, un des écrivains qui ont collaboré aux soirées de Médan. Son art fut extrêmement re-