Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/27

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layés et frottés que j’aie vus de ma vie. Ce n’était que poussière et merveilles, car ses esquisses préférées couvraient les murs. Au troisième était l’atelier. Là se trouvaient la baignoire, le tub et les éponges qui ont si souvent servi à ses modèles et qui figurent dans un si grand nombre de ses compositions. Mais ce n’est pas du peintre, ni même du critique admirable qu’il était que je veux vous parler. Je parlerai d’un Degas moins connu, du Degas homme de lettres et poète. Il y avait chez lui un écrivain latent, et d’abord un homme d’esprit dont les mots sont si connus que je ne les répéterai point devant vous. Il y avait aussi un Degas poète, un Degas qui appartient par là à ces souvenirs littéraires que nous vous contons aujourd’hui. Je n’en parlerai point comme d’un poète amateur. Degas, esprit précis, ne pouvait supporter de demeurer dans l’état larvaire de l’amateur. Il avait une curiosité immédiate et infinie de tout ce qui, dans les arts, constitue le métier, on dirait aujourd’hui la technique. Il faisait donc des vers avec le sentiment d’un métier qu’il ne possédait pas ; il les faisait d’ailleurs avec la plus grande peine, comme il sied, car qui fait des vers sans peine ne fait point de vers. Quand il était embarrassé, quand la muse manquait à l’artiste ou l’artiste à la muse, il prenait conseil, il allait gémir dans le sein des hommes de l’art. Il recourait tantôt à Hérédia, tantôt à Stéphane Mallarmé ; il leur exposait ses malheurs, ses désirs, ses impossibilités, il disait :

— J’ai travaillé toute la journée à ce sacré sonnet. J’ai perdu tout un jour, loin de la peinture, à faire des vers, et je n’arrive pas à ce que je voudrais. J’en ai mal à la tête.

Une fois qu’il tenait ce discours à Mallarmé il finit par lui dire :