Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/71

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part, et ses valeurs significatives illimitées (celles qui résident à la propagation des idées dérivées d’une idée), de l’autre, sont aussi les moins défendues contre le caprice, les initiatives, les actions et les dispositions des individus. La prononciation de chacun et son « acquis » psychologique particulier introduisent dans la transmission par le langage, une incertitude, des chances de méprises, un imprévu tout inévitables. Remarquez bien ces deux points : en dehors de son application aux besoins les plus simples et les plus communs de la vie, le langage est tout le contraire d’un instrument de précision. Et en dehors de certaines coïncidences rarissimes, de certains bonheurs d’expression et de forme sensible combinées, il n’a rien d’un moyen de poésie.

En somme, le destin amer et paradoxal du poète lui impose d’utiliser une fabrication de l’usage courant et de la pratique à des fins exceptionnelles et non pratiques ; il doit emprunter des moyens d’origine statistique et anonyme pour accomplir son dessein d’exalter et d’exprimer sa personne en ce qu’elle a de plus pur et de singulier.

Rien ne fait mieux saisir toute la difficulté de sa tâche, que de comparer ses données initiales avec celles dont dispose le musicien. Voyez un peu ce qui est offert à l’un et à l’autre, au moment qu’ils vont se mettre à l’ouvrage et passer de l’intention à l’exécution.

Heureux le musicien ! L’évolution de son art lui a fait une condition toute privilégiée. Ses moyens sont bien définis, la matière de sa composition est tout élaborée devant lui. On peut