Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/79

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d’un poète n’est et ne peut être de nous apprendre qu’il pleut. Il n’est pas besoin d’un poète pour nous persuader de prendre notre parapluie. Voyez ce que devient Ronsard, ce que devient Hugo, ce que deviennent le rythme, les images, les consonances, les plus beaux vers du monde, si vous soumettez la poésie au système Dites qu’il pleut ! Ce n’est que par une confusion grossière des genres et des moments que l’on peut reprocher au poète ses expressions indirectes et ses formes complexes. On ne voit pas que la poésie implique une décision de changer la fonction du langage.

Je reviens à l’homme qui marche. Quand cet homme a accompli son mouvement, quand il a atteint le lieu, le livre, le fruit, l’objet qu’il désirait, aussitôt cette possession annule tout son acte, l’effet dévore la cause, la fin absorbe le moyen, et quelles qu’aient été les modalités de son acte et de sa démarche, il n’en demeure que le résultat. Le boiteux, le goutteux dont parlait Malherbe, une fois qu’ils ont péniblement gagné le fauteuil où ils se dirigeaient, ne sont pas moins assis que l’homme le plus alerte qui eût rejoint ce siège d’un pas vif et léger. Il en est tout de même dans l’usage de la prose. Le langage dont je viens de me servir, qui vient d’exprimer mon dessein, mon désir, mon commandement, mon opinion, ma demande ou ma réponse, ce langage qui a rempli son office, s’évanouit à peine arrivé. Je l’ai émis pour qu’il périsse, pour qu’il se transforme irrévocablement en vous, et je connaîtrai que je fus compris à ce fait remarquable que mon discours n’existe plus. Il est remplacé entièrement et définitivement par son sens, ou du moins par un certain sens, c’est-à-dire par des images, des impulsions, des réactions ou des actes de la personne à qui l’on parle ; en somme,