Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/94

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l’être chez les jeunes gens, même chez ceux qu’on connaît le mieux. On ne peut connaître des hommes que ce qu’ils connaissent eux-mêmes, et ils ne se connaissent enfin qu’achevés.

Quel est donc, aujourd’hui, le point brûlant, l’aiguillon qui irrite la substance profonde de nos jeunes hommes et les excite à surmonter ce qu’ils sont ? Je ne sais…

Sans doute, les préoccupations matérielles, les divisions politiques jouent malheureusement, aujourd’hui, un rôle principal dans les esprits, de sorte que le sérieux, la valeur absolue que l’on attachait jadis aux mystères et aux promesses de l’art, se reportent, nécessairement, hélas ! sur des soucis d’un tout autre ordre, et, en tout premier lieu, sur les problèmes de la vie.

Mais on peut dire aussi, (j’ai déjà parlé sur ce thème, dans cette même place), que notre époque manifeste un abaissement indéniable de l’esprit, une diminution des besoins de poésie. Pourquoi ? Pourquoi s’affaiblissent le besoin et la puissance du beau qui ont existé jusque dans le peuple, qui ont tellement existé dans ce peuple, que ce peuple a produit, au cours des âges, des œuvres admirables ? Les métiers étaient créateurs.

Je vous conseille, quand vous vous promènerez dans Paris, de vous attarder dans nos vieilles rues, la rue Mazarine ou la rue Dauphine, ou bien telle rue du Marais ; là, vous remarquerez les petits balcons de fer forgé qui sont accrochés aux vieilles maisons du XVIe et du XVIIIe siècles. Chacun de ces fers forme un dessin simple et original, qui ne se reproduit jamais ; le serrurier qui savait faire ces ouvrages, était un créateur, et dans un genre assez difficile.

Les artisans se sentaient maîtres et se faisaient originaux dans leur domaine, sans prétendre en sortir. Dans ce temps-là, il n’y