Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/157

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avoir la moindre influence sur ce qu’on peut nommer leur puissance de dissentiment historique.

Que nous écoutions Mme Degas ou Mme Le Bas, ou le noble, le pur et le tendrement sévère Joseph de Maistre ; ou le grand et brûlant Michelet ; ou Taine, ou Tocqueville, ou M. Aulard ou M. Mathiez, — autant de personnes, autant de certitudes ; autant de regards, autant de lectures des textes. Chaque historien de l’époque tragique nous tend une tête coupée qui est l’objet de ses préférences.

Quoi de plus remarquable que de tels désaccords persistent, en dépit de la quantité et de la qualité du travail dépensé sur les mêmes vestiges du passé ; et que même ils s’accusent, et que les esprits s’endurcissent de plus en plus, et se séparent les uns des autres par ce même travail qui les devrait conduire au même jugement ?

On a beau faire croître l’effort, varier les méthodes, élargir ou resserrer le champ de l’étude, examiner les choses de très haut, ou pénétrer la structure fine d’une époque, dépouiller les archives des particuliers, les papiers de famille, les actes privés, les journaux du temps, les arrêtés municipaux ; ces divers développements ne convergent pas, ne trouvent point une idée unique pour limite. Ils ont chacun pour terme la nature et le caractère de leurs auteurs, et il n’en résulte jamais qu’une évidence, qui est l’impossibilité de séparer l’observateur de la chose observée, et l’histoire de l’historien.

Il est cependant des points dont tout le monde convient. Il est dans chaque livre d’histoire certaines propositions sur quoi les acteurs, les témoins, les historiens et les partis s’accordent. Ce sont des coups heureux, de véritables accidents ; et c’est l’ensemble