Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/158

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de ces accidents, de ces exceptions remarquables, qui constitue la partie incontestable de la connaissance du passé. Ces accidents d’accord, ces coïncidences de consentements définissent les « faits historiques », mais ils ne les définissent pas entièrement.

Tout le monde consent que Louis XIV soit mort en 1715. Mais il s’est passé en 1715 une infinité d’autres choses observables, qu’il faudrait une infinité de mots, de livres, et même de bibliothèques pour conserver à l’état écrit. Il faut donc choisir, c’est-à-dire convenir non seulement de l’existence, mais encore de l’importance du fait ; et cette convention est capitale. La convention d’existence signifiait que les hommes ne peuvent croire que ce qui leur paraît le moins affecté d’humanité, et qu’ils considèrent leur accord comme assez improbable pour éliminer leurs personnalités, leurs instincts, leurs intérêts, leur vision singulière, — sources d’erreur et puissances de falsification. Mais puisque nous ne pouvons tout retenir, et qu’il faut se tirer de l’infini des faits par un jugement de leur utilité ultérieure relative, cette décision sur l’importance introduit de nouveau, et inévitablement, dans l’œuvre historique, cela même que nous venions de chercher à éliminer. Comme diraient vos camarades de Philosophie, l’importance est toute subjective. L’importance est à notre discrétion, comme l’est la valeur des témoignages. On peut raisonnablement penser que la découverte des propriétés du Quinquina est plus importante que tel traité conclu vers la même époque ; et, en effet, en 1932, les conséquences de cet instrument diplomatique peuvent être totalement perdues et comme diffuses dans le chaos des événements, tandis que la fièvre est toujours reconnaissable, que les régions paludéennes du globe sont de plus en plus visitées ou exploitées, et que la quinine fut peut-être indispensable à la pros-