Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/162

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Ainsi revoir et prévoir, ressaisir dans le passé et pressentir, se ressemblent fort en nous-mêmes, qui ne pouvons qu’osciller entre des images, et de qui l’éternel présent est comme un battement entre des hypothèses symétriques, l’une qui nous suppose le passé, l’autre qui nous propose un avenir.

Vous que j’aperçois devant moi, chers jeunes gens, vous me faites également songer à des temps que je ne verrai pas comme à des temps que je ne verrai plus. Je vous vois, et je me revois, à votre âge, et je suis tenté de prévoir.

Je vous ai tenu trop longuement des propos, sur l’histoire, et j’allais oublier de vous dire l’essentiel, et le voici : c’est que la meilleure méthode pour se faire une idée de la valeur et de l’usage de l’histoire, — la meilleure manière d’apprendre à la lire et à s’en servir, — consiste à prendre pour type de la connaissance des événements accomplis, son expérience propre, et à puiser dans le présent le modèle de notre curiosité du passé. Ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons éprouvé en personne, ce que nous fûmes, ce que nous fîmes, — voilà qui doit nous fournir le questionnaire, déduit de notre propre vie, que nous proposerons ensuite à l’histoire de remplir, et auquel elle devra s’efforcer de répondre quand nous l’interrogerons sur les temps que nous n’avons pas vécus. Comment pouvait-on vivre à telle époque ? Voilà, au fond, toute la question. Toutes les abstractions et notions que vous trouvez dans les livres sont vaines, si l’on ne vous donne le moyen de les retrouver à partir de l’individu.

Mais en se considérant Soi-même, historiquement, — sub specie Historiæ, — on est conduit à un certain problème, de la solution duquel va dépendre immédiatement notre jugement de la valeur de l’Histoire. Si l’Histoire ne se réduit pas à un