Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/174

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et de l’esthétique dans ses conceptions. Il faut donc qu’il façonne et travaille son matériel humain, et le rende disponible pour ses desseins. Il faut que les idées des autres soient émondées, élaborées, unifiées ; il faut que leur « spontanéité » soit insidieusement séduite, pourvue de formules simples et fortes qui répondent à tout et préviennent en eux toute objection ; leurs sentiments rééduqués, etc. (Mais il faut cependant ne pas leur refuser ni détruire en eux ce qui doit y subsister d’initiative pour que l’œuvre que l’esprit poursuit ne souffre pas d’un excès de soumission et d’inertie chez ses agents.)

Par là, l’esprit (politique), qui s’oppose dans tous les cas à l’homme, auquel il conteste sa liberté, sa complexité et sa variabilité, atteint, sous un régime dictatorial, la plénitude de son développement.

Sous ce régime, — qui n’est, comme on l’a dit, — que la réalisation la plus complète d’une intention impliquée dans toute pensée politique, — l’esprit est possédé au degré suprême du désir de s’appliquer, avec toute sa volonté de travail bien fait, à son œuvre, et d’accomplir, aussi puissamment que possible, l’acte de l’un contre tous par tous, et idéalement pour tous, qui est caractéristique de sa nature et qu’exige de lui le spectacle des désordres humains. Il se pose donc en conscience supérieure et introduit dans la pratique du pouvoir le contraste et les relations de subordination qui existent dans chaque individu entre la volonté réfléchie, ordonnée à une fin et entretenue, et l’ensemble des « automatismes » de tout genre. L’esprit traitera donc les esprits par le dressage et l’assouplissement des puissances inférieures qui les pénètrent et réduisent : la peur, la faim, les mythes, l’éloquence, les rythmes et images, — et parfois les raisonnements. Tous ces moyens fondés sur l’exploitation de la sensibilité seront par lui saisis et tournés à son service.