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PETITS TEXTES
AUTOUR DE LA POLITIQUE


LETTRE SUR LA SOCIÉTÉ DES ESPRITS[1]


Vous m’adressez une méditation sur l’esprit, qui est pleine d’esprit, qui est aussi toute « esprit ». Pour qu’elle fût écrite, il a fallu que fût réalisée la combinaison qui vous constitue et qui fait de vous un personnage spécifiquement européen. C’est l’être au degré le plus rare que de composer en soi de la manière la plus vive et la plus heureuse la saveur du pays de Cervantès, les précises vertus de Polytechnique, le genre qui se prend à Oxford, et ce je ne sais quoi de familièrement universel qui ne se respire qu’à Genève. Si l’on proposait à un fabricant de cerveaux le problème de façonner un esprit avec tous ces éléments que je trouve dans le vôtre, peut-être serait-il aussi embarrassé que ce grand chimiste auquel je disais un jour : Quand vous saurez véritablement la chimie, on pourra vous demander la formule d’un corps qui montrerait à la fois la transparence du verre, la souplesse de la soie, l’élasticité de la gomme, la ténacité de l’acier.

  1. À M. Salvador de Madariaga (1933).