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REMERCIEMENT

n’a plus les mêmes coutumes ni la même constitution qu’il avait. On observait alors une variété de confessions et de sectes plus nettement séparées qu’il ne s’en trouve aujourd’hui. L’adolescent qui s’essayait aux lettres et qui s’égarait tout d’abord, quelque peu ébloui d’œuvres et d’idées, ne tardait pas à discerner les partis et les doctrines qui se divisaient le présent ou se disputaient l’avenir. Bientôt, sur les degrés de l’amphithéâtre intellectuel qui s’élève de l’obscurité jusqu’à la gloire, il pouvait aisément choisir le côté de ses préférences. Toutes les factions de la politique littéraire avaient alors leurs quartiers généraux et leurs places d’armes. Il y avait encore deux rives à la Seine ; sur ces bords ennemis, les salons dissertaient, les cafés résonnaient ; quelques ateliers bouillonnaient du mélange écumant des arts. Même un grenier devint illustre ; et le seul grenier au monde capable d’une telle fécondité, il enfanta une Académie excellente qui s’accorde aimablement avec son aînée, et dont il vous plaira, Messieurs, que je salue les gloires et les talents au passage.

Je ne vois pas à présent d’aussi claires catégories qu’il s’en voyait au temps de notre ingénuité. Les volontés et les systèmes s’opposaient plus exactement. Toute la nation littéraire s’ordonnait en un petit nombre de tribus, selon les lois naïves des contrastes que l’on croyait exister entre l’art et la nature, le beau et le vrai, la pensée et la vie, le vieux et le neuf. Chacune de ces tribus avait son chef incontestable, je veux dire qui n’était contesté que par quelqu’un du même drapeau.

Le naturalisme triomphait sous Émile Zola. Autour de la noble figure de Leconte de Lisle rimaient exactement les poètes du Parnasse. On remarquait aussi, souriants ou pensifs, un petit groupe de grande influence, philosophes ou moralistes, dont les