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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

uns plutôt sévères et même soucieux, les autres qui se faisaient de l’ironie une méthode universelle, jugeaient, disséquaient ou raillaient toutes choses divines et humaines.

Je crois bien que de ces auteurs idéologues, critiques, théoriciens, humanistes, nourris de philologie, d’histoire et d’exégèse, qui se réclamaient des grands noms de Renan et de Taine, il n’en est point que la Compagnie n’ait accueilli dans ses fauteuils.

Zola, Leconte de Lisle, Taine ou Renan, il suffisait alors de quelques noms pour s’y reconnaître assez vite dans la mêlée des doctrines et des personnes. C’est en quoi de grands hommes sont fort utiles. Comme les noms illustres s’inscrivent au coin des rues et nous enseignent où nous sommes, ils s’inscrivent aussi aux carrefours et aux points multiples de notre mémoire intellectuelle. La gloire cesse d’être vaine, la gloire sert à quelque chose, si elle consiste à devenir symbole et convention commode dans les esprits.

Mais ces écoles triomphantes, ces constellations d’écrivains si hautes sur l’horizon commençaient à manquer dans leur triomphe des forces qu’elles avaient consumées pour l’obtenir. Leurs vertus et leurs arguments s’épuisaient, car il n’est guère de vertus que combatives : qui gagne, les perd. Et quant à nos arguments, ce ne sont, pour la plupart, que des armes de jet qui ne peuvent servir deux fois. Le naturalisme et le Parnasse étant au plus haut période, ils devenaient la proie passive de l’inertie ; ils se trouvaient sans le savoir dans toute la faiblesse des apogées. Un jeune homme tenté par les lettres ne pouvait douter, c’eût été douter de soi-même, qu’il ne se préparât dans les têtes les plus actives de son âge je ne sais quelles nouveautés extraordinaires. La jeunesse prophétise par son existence même, étant ce qui sera.