Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 5, 1935.djvu/55

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armée, maître de faire ce qui n’appartient qu’à son grade ou à son métier.

Sur toute chose, vous vouliez être compris de tous, chacun devant développer par ses propres lumières la part qui lui incombait de votre dessein. Votre esprit fort critique et prompt à l’ironie, jugeant des autres par soi-même, répugnait à leur demander une confiance aveugle ou conventionnelle qu’il n’eût pas soi-même accordée. Vous préférez communiquer l’espoir par des actes de prévoyance et des préparations positives que de l’exciter par le discours. Pendant une épreuve si longue qu’elle parut parfois infinie, la parole, de jour en jour, perdait de sa valeur fiduciaire. Mais l’on vous voyait ordonnant des travaux, organisant et réorganisant vos unités, vous inquiétant de la nourriture, du repos, de l’esprit des soldats ; et enfin pénétré de l’importance essentielle de l’exécution au point de vous attacher constamment à reprendre et à refaire l’instruction des troupes et des cadres ; l’exercice et le combat profitant l’un de l’autre, l’expérience constante dominant toutes vos pensées. Vos actes sont parlants, vos paroles sont actes.

Ainsi, de grade en grade, au milieu des tâtonnements d’une guerre sans exemple, vous ne cessez de vouloir obtenir entre le conseil et l’action, entre l’idée, les moyens et les hommes, une sorte d’harmonie ou de dépendance réciproque, hors de laquelle vous sentez qu’il n’y a ni continuité dans les avantages, ni ressources dans les revers.

Serviteur toujours prêt à servir, instruit de tout ce qui importe à la guerre, vous vous montrez en quelques mois capable par la compétence de commander une immense armée aussi clairement qu’une division ; mais fort capable, par le caractère, d’accepter