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virtuelles, ses créations d’engins et de moyens, dont la nouveauté trouble parfois les théories en vogue, modifie un instant l’équilibre des forces, déconcerte les routines.

Toute une littérature spéciale, et toute une littérature de fantaisie, parfois plus heureuse que l’autre dans ses prévisions, donnent à imaginer ce que sera l’événement du cataclysme dont l’Europe est grosse. Quelle étrangeté, quel trait nouveau que cette extrême conscience, cette longue et lucide veille !…

La Guerre de demain ne sera point une de ces catastrophes auxquelles on n’a jamais pensé.

Mais des deux côtés de la frontière, les conditions de ce travail préparatoire sont bien différentes. Tout le favorise en Allemagne : la forme du gouvernement, d’essence militaire, et dont la victoire a fondé le prestige ; une population surabondante et naturellement disciplinée ; une sorte de mysticisme ethnique ; et chez de nombreux esprits, une foi dans le recours à la force, qu’ils estiment le seul fondement scientifique du droit.

Chez nous, rien de pareil. Un tempérament national à la fois critique et modéré ; une population moins que stationnaire dans un pays de vie facile et douce ; une nation politiquement des plus divisées ; un régime, dont la sensibilité aux moindres mouvements de l’opinion faisait le vice et la vertu. Ces conditions rendaient assez laborieuse toute préparation méthodique et continue à une guerre que nul ne voulait, ni ne pouvait vouloir ; et que chacun, quand il y pensait, ne concevait que comme un acte de défense, une réponse à quelque agression. On peut affirmer que l’idée de déclarer la guerre à quelqu’une des nations voisines ne s’est jamais présentée à un esprit français depuis 1870…

Cependant notre armée, souvent critiquée, exposée tantôt à