Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que dans cet effet, dans l’esprit non prévenu du spectateur. C’est donc par une abstraction que l’œuvre d’art peut se construire, et cette abstraction est plus ou moins énergique, plus ou moins facile à y définir, selon que les éléments empruntés à la réalité en sont des portions plus ou moins complexes. Inversement, c’est par une sorte d’induction, par la production d’images mentales que toute œuvre d’art s’apprécie ; et cette production doit être également plus ou moins énergique, plus ou moins fatigante selon qu’un simple entrelacs sur un vase ou une phrase brisée de Pascal la sollicite.



Le peintre dispose sur un plan des pâtes colorées dont les lignes de séparation, les épaisseurs, les fusions et les heurts doivent lui servir à s’exprimer. Le spectateur n’y voit qu’une image plus ou moins fidèle de chairs, de gestes, de paysages, comme par quelque fenêtre du mur du musée. Le tableau se juge dans le même esprit que la réalité. On se plaint de la laideur de la figure, d’autres en tombent amoureux ; certains se livrent à la psychologie la plus verbeuse ; quelques-uns ne regardent que les mains qui leur paraissent toujours inachevées. Le fait est