Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/91

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que, par une insensible exigence, le tableau doit reproduire les conditions physiques et naturelles de notre milieu. La pesanteur s’y exerce, la lumière s’y propage comme ici ; et, graduellement, se placèrent au premier rang des connaissances picturales l’anatomie et la perspective : je crois cependant que la méthode la plus sûre pour juger une peinture, c’est de n’y rien reconnaître d’abord et de faire pas à pas la série d’inductions que nécessite une présence simultanée de taches colorées sur un champ limité, pour s’élever de métaphores en métaphores, de suppositions en suppositions à l’intelligence du sujet — parfois à la simple conscience du plaisir — qu’on n’a pas toujours eu d’avance.

Je ne pense pas pouvoir donner un plus amusant exemple des dispositions générales à l’égard de la peinture que la célébrité de ce « sourire de la Joconde », auquel l’épithète de mystérieux semble irrévocablement fixée. Ce pli de visage a eu la fortune de susciter la phraséologie, que légitiment, dans toutes les littératures, les titres de « Sensations » ou « Impressions » d’art. Il est enseveli sous l’amas des vocables et disparaît parmi tant de paragraphes qui commencent à le déclarer troublant et finissent à une description d’âme généralement