Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/159

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proviseur que tu veux te faire savetier, te remêler à la canaille ! Arrive en blouse au collège, devant ma classe ! C’est ce que tu veux, peut-être ! »


Je passe mes journées dans ma chambre. Mon père exige de moi que j’abatte un devoir grec ou latin, tous les jours.

Voilà à quoi j’occupe mon temps, moi, l’échappé des barricades.

Est-ce pour me châtier ? Est-ce une farce de bourreau ?

Quand j’ai latinassé, je suis libre — libre de regarder le quai.


Quai Richebourg.

Oh ! ce quai Richebourg, si long, si vide, si triste !

Ce n’est plus l’odeur de la ville, c’est l’odeur du canal. Il étale ses eaux grasses sous les fenêtres et porte comme sur de l’huile les bateaux de mariniers, d’où sort, par un tuyau, la fumée de la soupe qui cuit. La batelière montre de temps en temps sa coiffe et grimpe sur le pont pour jeter ses épluchures par-dessus bord.

C’est plein d’épluchures, ce canal sans courant !

C’est le sommeil de l’eau. C’est le sommeil de tout.

Pas de bruit. Trois ou quatre taches humaines sur le ruban jaunâtre du quai.

En face, au loin, des chantiers dépeuplés, où quelques hommes rôdent avec un outil à la main, donnant de temps en temps un coup de marteau qu’on entend