Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/178

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l’air ahuri — il marchait comme j’ai vu marcher au théâtre ; il secouait ses cheveux en arrière.

IL AVAIT UNE CANNE.

C’était le seul probablement dans tous les collèges de France ! Il avait une canne pour laquelle il payait deux sous de location par semaine : pour deux sous on la lui gardait chez le savetier en face pendant les classes.


Nous nous entendons bien avec Legrand. Il est tant soit peu catholique, mais il n’en est pas moins une belle plante d’homme, libre et forte, qui ne repousse pas la chicorée sceptique qui pousse près de lui, dans ma personne.

Nous nous disputons, c’est clair — il y a des malentendus, c’est sûr — mais nous sentons bien, tous deux, que nous avons du ridicule à venger et que nous avons besoin de nous détendre plus que d’autres, tant nous avons été étouffés : lui, entre les feuillets d’un paroissien ; moi, entre le dictionnaire latin-français de mon père et l’éducation paysanne de ma mère !

Aussi, comme nous nous en donnons ! Ma foi, ma douleur pesante et laide, ma douleur qui sentait le canal aux épluchures et la rue aux pauvres ; qui sentait aussi la pommade des femmes à matelots et l’eau-de-vie des bouges ; ma douleur d’hier s’est changée en une fièvre qui n’a plus la sueur si sale et si noire !

Nous cherchons querelle dans les cafés. C’est notre occupation, à mon élève et à moi — car Legrand est