Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/372

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est trois heures du matin.

J’ai laissé ma malle au bureau des bagages, ne sachant pas si, dans ma maison, après ma longue absence, à cette heure, je retrouverai ma chambre libre, et j’ai marché jusqu’au matin à travers les rues.


Encore un courage que je ne pourrais pas avoir deux nuits de suite : celui de rôder sur le pavé en regardant la lune mourir et le soleil renaître !

Il y a surtout un moment, quand vient l’aube, où le ciel ressemble à une aurore sale ou à une traînée de lait bleuâtre ; où les glaces dans lesquelles on se reconnaît tout à coup, à l’extérieur des magasins de nouveautés et des boutiques de perruquier, reflètent un visage livide sur un horizon dur et triste comme une cour de prison.

Le silence est horrible et le froid vous prend : on sent la peau se tendre, et les tempes se serrer. Cette aurore aux doigts de roses, dont parlent les poètes, vous met un masque sale sur la figure, et les pieds finissent par avoir autant de crasse que de sang… On se trouve des allures de mendiant et de mutilé.

Je rencontre des gens sans asile qui baissent la tête et qui traînent la jambe ; j’en déniche qui sont étendus, comme des mouches mortes, sur les marches d’escalier blanches comme des pierres de tombe.


L’un d’eux m’a parlé ; il était maigre et cassé, quoiqu’il n’eût pas plus de trente ans ; il avait presque la