Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/411

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On débarbouille l’homme de tôle et l’on me passe l’arme. J’épuise ma douzaine de balles.

Une seule a porté.

Mes cornacs ont l’air consterné, font presque la moue. Ils voudraient que leur sujet fût plus adroit.


Nous nous sommes quittés à dix heures du soir.

« Couchez-vous de bonne heure, m’a dit quelqu’un qui prétend s’y connaître. Vous aurez comme cela le sang plus calme, la main plus sûre. »

Je me suis couché et j’ai dormi comme une brute.

Je me suis réveillé pourtant de grand matin et j’ai songé un tantinet à la chance que je courais d’être estropié ou de mourir après une longue agonie. Eh bien ! voilà tout. Si je meurs, on dira que j’avais du cœur ; si je suis estropié, les femmes sauront pourquoi et m’aimeront tout de même. D’ailleurs, ce n’est pas tout ça ! J’ai besoin de déblayer le terrain, de me faire de la place pour avancer ; j’ai besoin de donner d’un coup ma mesure, et de m’assurer pour dix ans le respect des lâches.

On voit le Luxembourg de ma fenêtre. Ma foi, en jetant un dernier regard sur ce grand jardin bête ; en voyant s’y glisser les maniaques en cheveux blancs qui viennent tous les matins à la fraîcheur traîner là leurs chaussons mous, et salir du bout de leurs cannes la rosée dans l’herbe ; ma foi ! je viens de me dire qu’au lieu d’être les victimes de la verdure mélancolique, nous allons, Legrand et moi, être pendant un moment les maîtres de tout un coin de nature ; nous