Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/413

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voir commander, trinquer, boire, avec un pareil oubli de mon individu et une telle insouciance de notre pauvreté.

Puis ils lâchent des mots que je n’aime pas.

« Nous buvons comme à un enterrement », a dit l’un d’eux.

On a beau être brave, cela vous donne un petit frisson.


Allons ! il est neuf heures, le mont-de-piété est ouvert. Collinet vient me prendre en voiture avec mes témoins, Legrand est dans un autre fiacre avec les siens.

On entre au Café des Variétés. Les témoins ne restent que le temps d’avaler un chocolat et filent ensemble du côté du clou, pour se rendre de là chez l’armurier.

Nous restons seuls, Legrand et moi : Legrand se place à gauche, moi à droite sur la terrasse. Nous attendons.

Mais, comme ils tardent !

Chacun de nous à tour de rôle s’avance sur le trottoir et plonge ses regards dans la longueur du boulevard.

Le patron nous surveille.

Dans le café, les arrivants, avertis par les garçons, nous désignent et parient.

« Je vous dis que ce sont deux capons ? — Non, des escrocs. »

Oh ! ce ridicule et cette honte !… Je préférerais être étendu, les côtes fracassées ou le front troué, sur ce