Page:Vapereau - L Annee litteraire et dramatique - 1869.djvu/86

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pas pris dans le sens métaphorique et moral ; c’est un effroyable précipice au milieu des glaciers des Alpes où le traitre veut précipiter son innocente victime et où il roule lui-même, pour la plus grande satisfaction de la conscience et le plus grand honneur de la justice.

La collection française de miss Braddon s’est enrichie de trois œuvres nouvelles traduites par son interprète juré, M. Charles-Bernard Derosne : la Femme du docteur, le Locataire de sir Gaspard et l’Allée des Dames. On me per- mettra de ne pas donner ici l’analyse de romans qui sont tout en événements et en tableaux. Miss Braddon excelle dans le maniement des émotions énergiques et violemment dramatiques. Quelquefois, elle adoucit ses peintures, comme dans la Femme du docteur[1], qui nous représente, chez une bourgeoise de village, des aspirations supérieures à la position et aux ressources du mari. Le besoin du luxe et de passion de cette Mme Bovary anglaise la jette naturellement dans des aventures dramatiques, mais ce qu’elles ont d’émouvant est tempéré par le contraste de scènes amusantes de la vie littéraire dans la Grande- Bretagne. Il y a surtout un type très-comique des faiseurs de romans à un sou la ligne.

Il ne faudrait pas beaucoup d’écrivains de la facilité et de la fécondité de miss Braddon pour faire tomber la production du roman au-dessous de ce prix. J’ai relu plusieurs de ses anciens volumes, publiés à prix réduits dans une collection nouvelle. C’est toujours, avec des variations légères, la reproduction d’un même type bâtard, celui du roman anglais greffé sur notre roman-feuilleton. Ce sont toujours les mêmes éléments diversement combinés ; des études de mœurs et de caractères minutieusement analytiques, au milieu de complications d’événements, de mystères, de révélations, de dénouements toujours attendus et toujours retardés. On peut reprocher à l’auteur et au genre lui-même la longueur des récits, l’inutilité des descriptions, les ajournements indéfinis de la solution. Il y a ici moins d’habileté scénique que dans le roman français, des coupures moins savantes pour renvoyer « la suite au prochain numéro, » en un mot un

  1. Hachette et Cie, in-18.