Page:Variétés Tome V.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Où l’on ne puisse avoir quelque revenant bon.
Comment m’y pris-je, moi, quand petite vachère,
À l’âge de quinze ans laissant là père et mère,
Et d’un orgueil secret sentant mon cœur epris,
Je m’en vins seule à pied d’Abbeville à Paris ?
Je me trouvai d’abord, faute d’haides, reduite
À n’esperer en rien qu’en ma bonne conduite ;
Et, voulant ne devoir ma fortune qu’à moi,
J’eus soin de me dresser moi-même en mon emploi.
Sous mon habit grossier je n’etois pas trop bête ;
J’affectois au dehors une manière honnête,
Et, chacun se fiant sur ma simplicité,
Je trouvois des maisons avec facilité.
Les quinze premiers jours il me fut difficile
D’attraper du marché la routine et le stile ;
Mais ma conception en peu de temps s’ouvrit,
Et le desir du gain me donna de l’esprit.
Je m’acostois souvent de certaines servantes
Que je voyois toujours propres, lestes, pimpantes,
Et qui, pour soutenir l’eclat de leurs atours,
Sur l’anse du panier faisoient d’habiles tours.
Avec elles j’allois causer chez la fruitière,
J’etudiois de près leur talent, leur manière,
Et je faisois si bien que, dans l’occasion,
Par leurs soins je trouvois bientôt condition.
Tout m’étoit bon : marchands, procureurs et notaires,
Etoient gens avec qui je faisois mes affaires ;
Sans peine je gagnois mon petit entretien.
Quand j’allois au marché, loin d’y mettre du mien,
Même de mes profits, puisqu’il faut tout vous dire,

Je sçavois en deux mois remplir ma tirelire.