Page:Variétés Tome V.djvu/346

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que s’il avoit rompu son luth il luy auroit fait sauter sa boutique. — Ha ! le gascon ! dit là-dessus le charcutier ; n’est-ce point un cotret au lieu d’un luth ? Et, voulant lever son manteau pour s’en esclaircir, l’estoffe estant un peu mure, il en dechira sans y penser une bonne partie, et, pour l’aigrir encore davantage, luy dit en retirant sa main : Il est de damas, il quitte le noyau14. Le joueur de luth, picqué de ce double affront, se mit à luy chanter injures à bon escient, considerant qu’il n’eust pas esté le plus fort à vuider ce different à coups de points. Comment ! commença-t-il à dire, maistre salisson, marmiton, graillon, souillon, brouillon, as-tu bien l’impudence de mettre tes mains infames sur moy, qui sont encore toutes pleines de merde que tu nous fais manger dans tes andouilles ! Va, va, marquis de Sale-Bougre, vendre ton boudin crevé et ton pourceau ladre pour empester le monde, et ne te mesle pas de venir engraisser mon luth ny mes habits. Le charcutier, sans s’emouvoir beaucoup de ces invectives, ne fit que luy dire en riant : Aga donc, monsieur le lutherien ! vous vous boutez en escume. Ne vous eschauffez pas tant, vous engendrerez une pluresie ; vous ferez mieux de nous jouer une sarabande. Je vous donneray quatre deniers, comme à un vielleux ; peut-estre n’en avez-vous pas tant gaigné depuis quinze jours. Mais voyez comme ce petit ratisseur de corde à boyau fait l’entendu ! Ma foy, tu n’as que faire de rire ; tu ne gai-


14. Le noyau des prunes de damas gris et de damas blanc se détache facilement.