Page:Variétés Tome V.djvu/349

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qui vouloit faire son chef-d’œuvre sur mon gousset16 ; mais je fus bien estonné quand j’aperceus que c’estoit une fille qui avoit esté autrefois de ma connoissance. Ce qui redoubla mon admiration, ce fut sa mine et son equipage. Elle que j’avois tousjours veue avec un train de baronne, vestue à l’avantage, n’aller jamais qu’en chaise ou qu’en carrosse, estoit alors à pied, sans laquais, mediocrement vestue, mal chaussée, et le visage si pasle que je ne me peux tenir de luy demander si elle avoit esté malade. Je le pourrois bien avoir esté sans que vous en auriez rien sceu, me respondit-elle ; il y a mille ans que l’on ne vous a veu, et vous ne faites plus estat de vos amis. — Laissons là ces reproches, luy dis-je ; vous ne voyez pas des personnes de si petite condition que moy : c’est à faire à des barons ou à de riches


16. Il falloit faire deux chefs-d’œuvre en présence des confrères pour être reçu maître coupeur de bourses. C’est au second, le plus difficile, qu’il est fait allusion ici. L’aspirant, selon Sauval (Antiq. de Paris, liv. 5), étoit conduit par ses compagnons dans un lieu public, comme la place Royale, ou dans quelque église. Dès qu’ils voyoient une dévote à genoux devant la Vierge, ou un promeneur facile à voler, les confrères lui ordonnoient de faire ce vol en leur présence et à la vue de tout le monde. À peine étoit-il parti qu’ils disoient aux passants, en le montrant du doigt : Voilà un coupeur de bourse qui va voler cette personne. Chacun alors de s’arrêter pour l’examiner. Le vol fait, les confrères se joignoient aux passants, se jetoient sur l’aspirant, l’injurioient, le frappoient, l’assommoient, sans qu’il dût oser ni déclarer ses compagnons, ni laisser voir qu’il les connût.