Mais le temps, qui tout change, en changeant ma jeunesse
Depuis de jour en jour,
M’a bien monstré comment la peine et la tristesse
Ne tient l’homme en sejour ;
Et, pour compter mes ans, sans en vouloir rabatre
Le temps mal employé,
J’ay passé cinq fois dix ; mais avant dix fois quatre
J’estois fort devoyé.
Sans voir faire j’ay fait ce qu’avant que je fusse
On faisoit rarement,
Et pour complaire aux grands j’ay fait plus que je n’eusse
L’hommage au changement.
Et, outre ce mestier, dont je gaigne ma vie
À forger et limer,
Voulant m’aprendre à lire, il me print une envie
De m’aprendre à rimer.
J’ay si souvent quitté la lime pour la rime
Et si souvent escrit,
Qu’or j’en quitte la rime à cause que la lime
Travaille moins l’esprit ;
Et si j’eusse plus tost sceu qu’il m’estoit contraire
D’aimer les autres vers,
Je me fusse gardé d’entreprendre et de faire
Le moindre de ces vers.
Mais, durant que j’avois ce rompement de teste,
Où je prenois plaisir,
Je n’allois pas songer que le mal qui m’en reste
Me deust un jour saisir.
À plusieurs medecins, sans craindre la despence,
Je me suis presenté,