Page:Variétés Tome VII.djvu/110

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cet estat et le faisoit plaindre de la sorte ne luy faisoit aucune douleur. Aussi, quoy qu’il en dît, y avoit il si peu d’apparence, que le charlatan luy-mesme, au lieu de doux dents qu’il avoit mises en son marché, ne luy en voulut arracher qu’une. Il ne faut pas demander si le poëte fut aise de s’en voir quitte à si bon compte ; mais ce fut bien à dechanter quand, estant allé le soir chez son homme pour toucher son salaire, l’autre le luy refusa, alleguant qu’il avoit tant crié qu’il luy avoit plus nuy que servy ; qu’il ne luy avoit rien promis qu’à condition qu’il souffriroit sans se plaindre qu’on luy ostât deux dents, et qu’il n’avoit pas osé les luy arracher, de peur que, par ses cris, il ne le dechalandast pour jamais. Il ne faut pas demander s’il y eust là-dessus une grande querelle entre ces deux personnages. Le poëte, faute d’autres armes, a recours aux injures, et, pour tâcher d’attirer quelqu’un en sa faveur, se plaint que l’autre luy a arraché une gencive et appelle le charlatan bourreau. Celuy-cy s’en moque, et dit en riant qu’il a de bons temoins qui luy ont entendu dire à luy-mesme qu’il ne luy avoit fait aucun mal. Je passois par hazard par là lorsque cette plaisante repartie fut faite au pauvre Sibus, que je decouvris, malgré sa petitesse, au milieu de cent personnes qui l’entouroient. Je demanday ce qu’il y avoit, et l’on m’apprit tout ce que je viens de vous dire. Je vous avoue que cette avanture, toute plaisante qu’elle est, ne laissa pas de m’attendrir et de me donner de la compassion ; et, jugeant qu’un homme qui vendoit ses dents pour avoir de quoy manger devoit estre en une etrange necessité,