Page:Variétés Tome X.djvu/98

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Jamais pauvre nocher, échappé du naufrage,
Ne fut plus rejouy se voyant à bon port,
Que je fus de me voir hors d’une telle rage,
Où l’on vit en mourant d’une eternelle mort.

J’estois si etonné que je ne saurois dire
En quelle forme estoit cest esprit malheureux ;
Seullement il suffit que j’ay veu le martyre
Quy le suit eternel aux enfers tenebreux.

J’estois tout englouty au milieu des fumées,
Des souffres et aluns quy le vont tous bruslants ;
Les canons, les mousquets, quy tomnent aux armées,
Ny la crainte des coups, ne m’etonneroient tant.

Considerez, mondains, je vous prie, la peyne
Qu’endure maintenant ce mane20 des enfers ;
Gardez-vous de chercher une semblable chesne
Et de vous enchaîner en de semblables fers.



reine mère, et qui devoit exister encore en 1604. V. un article de M. Eug. Piot, et un autre de M. Champollion dans le Cabinet de l’Antiquaire amateur et de l’Amateur, t. I, p. 71–72 et 277.

20. C’est la première fois que je trouve ce mot mane employé au singulier. Ronsard l’avoit mis en faveur, mais ne s’en étoit servi qu’au pluriel. Le premier il avoit dit dans les Amours, 172e sonnet :

Ô nuit, ô jour, ô manes frygiens !

et Muret, son commentateur, avoit fort applaudi à ce néologisme. « Il faut, avoit-il dit, naturaliser et faire françois ce mot latin manes, veu que nous n’en avons point d’autre. » Commentaire sur les Amours de Ronsard, Paris, 1553, p. 205.