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d’aubaine (II, § 112), enfin, même dans une guerre civile, porter secours à celui des deux partis « qui paraît fondé en justice » ou « protéger un peuple malheureux contre un tyran injuste » (II, § 56).

Mais, comment concilier cette obligation réciproque avec l’indépendance et la liberté des États ?

Pour résoudre le problème, Vattel essaie d’abord de le restreindre. Après avoir dit « Un État doit à tout autre ce qu’il doit à soi-même » (II, § 3), il s’arrête, effrayé, mais bientôt se rassure par ces deux considérations :


« 1o Les corps de Société ou les États souverains sont beaucoup plus capables de se suffire à eux-mêmes que les individus humains, et l’assistance mutuelle n’est point si nécessaire entre eux, ni d’un usage fréquent. Or, dans toutes les choses qu’une nation peut faire elle-même, les autres ne lui doivent aucun secours.

« 2o Les devoirs d’une nation envers elle-même, et principalement le soin de sa propre sûreté, exigent beaucoup plus de circonspection et de réserve qu’un particulier n’en doit observer » (§ 3).


Restreignant toujours le cercle des problèmes et par suite des difficultés, Vattel, plus respectueux que Grotius de l’indépendance et de la liberté des nations, déclare qu’aucun État n’a le droit d’assurer la perfection d’un autre contre sa volonté. On peut resserrer des sauvages dans des bornes plus étroites (I, § 209), mais non pas les civiliser malgré eux :


« Pour contraindre quelqu’un à recevoir un bienfait, il faut avoir autorité sur lui…, Ces ambitieux Européens qui attaquaient les Nations Américaines et les soumettaient à leur avide domination pour les civiliser, disaient-ils, et pour les faire instruire dans la véritable Religion ; ces usurpateurs, dis-je, se fondaient sur un prétexte également injuste et ridicule. On est surpris d’entendre le savant et judicieux Grotius nous dire qu’un souverain peut justement prendre les armes pour châtier des Nations qui traitent inhumainement leurs pères et leurs mères, comme faisaient les Sogdiens » (II, § 7).


Pour qu’une nation ait droit aux offices de l’humanité, il faut qu’elle les requière : « C’est à chacune de voir si elle est en cas de les demander » (II, § 8). Mais, les demandant, a-t-elle, en dépit de la liberté des autres nations, droit à les obtenir ?

Embarrassante question.

Pour l’éluder, Vattel tente encore un effort. Dans son livre Ier il avait fait entrer, parmi les biens des États, la gloire : « la gloire d’une nation, ce brillant avantage qui lui attire la considération des autres peuples, et qui la rend respectable à ses voisins » (I, § 186). À bien pratiquer leurs devoirs, les nations s’acquerront la gloire. « L’humanité ne se borne pas à permettre aux nations étrangères l’utilité innocente qu’elles peuvent tirer de ce qui nous