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appartient ; elle exige que nous leur facilitions même les moyens d’en profiter… Il est d’une nation polie de bien accueillir les étrangers… La gloire est la récompense assurée de la vertu » (II, § 139).

Si précieux que soit, pour les nations, ce « brillant avantage, » il se peut cependant que, rebelles au souci de leur gloire, elles se dérobent à leur devoir d’aide mutuelle, en objectant leur droit d’indépendance. Et, sans doute, une telle attitude serait légitime, si le perfectionnement des autres nations mettait l’État en péril, si, pour aider un État à se conserver en le défendant contre un ennemi puissant, il fallait soi-même « s’exposer à un grand danger » (II, § 4). Mais les circonstances peuvent être telles que ce n’est pas la nécessité, pour un État, de vivre, mais simplement son intérêt, son caprice qui l’amènent à prétexter de son droit d’indépendance pour manquer à son devoir d’entr’aide.

Entre l’indépendance et l’interdépendance, le droit et le devoir, l’antagonisme est dès lors posé en termes catégoriques, inéluctables.

La question ne peut plus s’ajourner : il faut y répondre.

Trois notions y aident Vattel : celles du droit de nécessité, de la communion primitive, de l’opposition des droits parfaits et imparfaits.

Le droit de nécessité. — Entre l’indépendance et l’interdépendance Vattel n’hésite pas, toutes les fois que la nécessité se prononce. « On appelle ainsi le droit que la nécessité seule donne à certains actes, d’ailleurs illicites, lorsque, sans ces actes, il est impossible de satisfaire à une obligation indispensable » (§119).

La nécessité permet de se procurer des vivres par la force (§ 120), de se servir des vaisseaux, chariots, chevaux, du travail même des étrangers (§ 121), d’enlever des femmes à l’exemple des Sabines « encore qu’aucune nation ne soit obligée de fournir des mâles aux Amazones » (§ 122).

Elle donne aussi le droit de passage :


« Lors donc que le Maître d’un Territoire juge à propos de vous en refuser l’accès, il faut que vous ayez quelque raison, plus forte que toutes les siennes, pour y entrer malgré lui. Tel est le Droit de nécessité : il vous permet une action, illicite en d’autres rencontres, celle de ne pas respecter le Droit de Domaine. Quand une vraie nécessité vous oblige à entrer dans le pays d’autrui ; par exemple, si vous ne pouvez autrement vous soustraire à un péril imminent… vous pouvez forcer le passage… Mais si une égale nécessité oblige le Propriétaire à vous refuser l’accès, il le refuse justement… Ainsi un Vaisseau battu de la tempête a droit d’entrer, même de force, dans un port étranger. Mais si ce Vaisseau est infecté de la peste, le Maître du port l’éloignera à coups de canon… » (II, § 123.)


De même : « Si un peuple se trouve chassé de sa demeure » par quelque calamité « il est en droit de chercher une retraite » ailleurs, sans pouvoir prétendre à plus que « le droit d’habitation, » en se soumettant aux « conditions