Les deux hommes étaient assis dans le bureau de la station.
Le prêtre et sa nièce étaient, eux, restés à la maison.
L’Abbé écrivait une longue lettre à Monseigneur et Huguette s’affairait dans la cuisine, en lutte homérique avec une tarte Lafayette qu’elle était en train de mettre au monde.
Baptiste soupira :
— Ce matin je sens réellement ma vieillesse ; elle s’étend sur tout mon corps comme un vêtement de plomb ; elle pèse sur mon cerveau : Pander, j’ai peur…
— Peur ?
— Oui, je crains que ma main ne tremble au moment de tirer.
Il reprit :
— C’est triste de ne pouvoir plus être le premier cow-boy de l’Ouest comme on m’a appelé, de sentir ses muscles se désagréger, son intelligence devenir morne et lente quand la situation exige de la justesse et de la rapidité.
— Oh, vous exagérez.
— Non… Pander ?
— Si je sors et attaque ce matin, et que je manque mon premier homme, tu sais ce qui va arriver.
— Oui.
— On criera : « Baptiste Verchères est « brûlé » ; envoyons. Alors nous assisterons à une orgie sanguinaire. Il ne faut pas.
Après un silence, le vieillard reprit :
— J’ai donc décidé de ne point participer à la bataille qui s’en vient.
— Ah…
— Oui ; j’ai confiance en toi, Pander, viens.
Ils sortirent tous les deux.
S’adressant aux 40 ou 50 cow-boys qui composaient le posse attendant à la porte de la station de police, Verchères leur dit :
— Merci, mes amis, d’être venus en aussi grand nombre.
Désignant le révérend, il continua :
— Comme je me sens un peu malade et indisposé ce matin je délègue mon autorité à Hugh Pander ici présent, et vous demande d’exécuter ses ordres comme s’ils venaient de moi. Le ferez-vous ?
Ils répondirent :
— Aye, aye, aye.
Aye, le oui du cow-boy.
À ce moment, ils entendirent le bruit significatif d’un cheval qui s’en venait au galop.
Toutes les têtes se tournèrent.
Le cavalier portait un grand mouchoir rouge sur la figure.