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vivante des mains et du visage. Et les plis bleuâtres de la nappe et tout enfin.

Certes, depuis qu’il peignait, James Ensor avait banni de sa palette la terre de Sienne brûlée et le noir de vigne ; certes, depuis toujours, il s’était défié de ce qu’on appelait « les vigueurs » obtenues par l’abus des mauvaises et fuligineuses couleurs ; certes enfin, il s’était soucié d’atmosphère, d’air ambiant et de réelle et authentique clarté, mais jamais comme en cette étonnante Mangeuse d’huîtres ses efforts n’avaient abouti, ni sa victoire porté la flamme de ses drapeaux aussi haut, ni aussi loin. L’œuvre revêt je ne sais quel caractère historique. C’est le premier tableau, vraiment clair, qu’on fit chez nous.

La Mangeuse d’huîtres, sur l’escalier tournant de l’art d’Ensor, semble s’étaler sur un large et triomphal palier. Aux yeux du peintre pourtant, elle est moins encore un point d’arrivée qu’un point de départ. Comme le chou datant de 1880, elle lui ouvre l’ère de la peinture à tons purs ou quasi purs. Mais Ensor est celui qui cherche toujours. Il suit, peut-on dire, plusieurs chemins à la fois. Il ne se détourne ni de la mer, ni du paysage, ni de la nature-morte. Le voici qui parachève, en 1883 et 1884, les Toits d’Ostende, Grande vue d’Ostende, le Nuage blanc, le Houx, la Dune, Vue de Bruxelles. Et les Pochards et les Masques scandalisés et le Meuble hanté le retiennent en même temps au royaume de la fantaisie et de l’hallucination.

Et voici dans la toile le Christ marchant sur la mer qu’une voie nouvelle semble s’ouvrir encore. Un souci de composition particulier s’accuse. Prenant