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Mais, dès le lendemain, dans l’aube molle et grasse,
De brusques débardeurs envahissaient le pont
Pour disperser, au long des quais, en des wagons,
Tous les fragments du monde et les morceaux d’espace
Que contenaient les flancs des navires profonds.
Et tout à coup apparaissaient dans la lumière
Entre le ciel et l’eau
De merveilleux métaux :
Un levier les serrait en son mobile étau
Et déposait leurs blocs, doucement, sur la terre ;
Des bois compacts et durs comme les pierres,
Des troncs rouges et violets,
Absorbaient le soleil en leurs brusques reflets.
La cale était pareille au fond d’un ossuaire
Où se courbaient, parmi les cornes et les dents,
Les grands arcs des ivoires blancs
Et les griffes, encor vives comme des ronces,
Des lynx et des chacals, des tigres et des onces.

On accourait du plus lointain des carrefours
Pour voir les larges peaux des aurochs et des ours.