Page:Verhaeren - Les Tendresses premières, 1904.djvu/85

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Elle riait à gorge déployée
D’être superbement palpée et rudoyée
Et de sentir les désirs chauds et violents
Brûler tels des feux, autour de sa chair belle.
Les soirs de fièvre et d’ivresse rebelle,
Elle apaisait les cris et les élans,
Et le tumulte noir des trop jeunes colères.
Les jours de foire ou de kermesse jubilaire,
Quand ceux de Puers, d’Opdorp et de Calfort,
En char-à-bancs, en carrioles,
S’amenaient boire et gloutonner à « L’Archer d’Or ».
On eût voulu s’enfuir avec la fille folle
Là-bas, très loin, vers n’importe où,
Au grand galop rythmé et fou
Des chevaux roux.


Mais ce rêve jamais n’entra dans sa pensée.
Faire sa besogne stricte, à chaque heure du jour,
La maintenait vers les simples devoirs baissée.
Bête de magnifique et fertile labour,
Avec le seul orgueil d’être rude et vaillante,
Elle peinait ; elle était fruste et bienveillante,
Et l’on était plusieurs à habiter son cœur.